Pardon et réconciliation par le père Philippe Dautais
J’ai rencontré l’été dernier le père Philippe Dautais, prêtre orthodoxe qui anime des sessions sur le pardon au Centre Sainte Croix. Pour La vie, il a donné une belle interview sur le pardon. J’avais envie de la partager avec les lecteurs de ce blog. Il montre bien comment le pardon se distingue de la réconciliation alors que l’on a tendance à confondre les deux. A l’écouter, nous pouvons pardonner sans jamais revoir notre agresseur.
Dans ce blog, j’ai également présenté le travail du père Monbourquette et ses douze étapes pour pardonner que vous pouvez lire dans cet article. Il est intéressant de lire les deux approches qui offrent du soutien pour vivre ce qui semble si difficile à faire. Ni l’un ni l’autre ne prétendent proposer une méthode infaillible, elle n’existe pas. A un moment, nous prenons la décision de nous engager dans cette voie là, sans trop savoir pourquoi.
En relisant les deux interventions, j’ai noté que :
Philippe Dautais insiste sur le fait de prendre la décision de pardonner, là où Jean Monbourquette détaille davantage ce qui se passe en amont.
Philippe Dautais met en évidence sur le non-sens qu’il y a à demeurer prisonnier d’une agression alors que son agresseur continue parfois de vivre tranquillement. Il montre comment le pardon est un point de départ. De son côté, ean Monbourquette précise (dixième étape) qu’il est parfois si difficile à pardonner qu’il vaut mieux confier à Dieu le soin de nous aider à accomplir ce qui semble au dessus de nos forces.
Voici l'interview de Philippe Dautais
En quoi un travail psychologique favorise-t-il le pardon ?
PHILIPPE DAUTAIS. Il est essentiel de relire son histoire pour ne pas reproduire sans cesse les mécanismes du passé. Au cours de notre vie, nous avons tous été blessés d’une façon ou d’une autre. Pour faire face, nous avons mis en place des systèmes de protection, qui nous ont permis de ne pas demeurer recroquevillés sur nous-mêmes. Mais souvent, nous avons tendance à adopter encore les mêmes schémas de protection dix, vingt ans, trente ans plus tard. À l’époque, ils constituaient peut-être la juste réponse à la blessure, mais ils s’avèrent aujourd’hui inadéquats par rapport à ce que nous vivons. Prendre conscience de ces mécanismes de défense permet de commencer à sortir de l'offense, en adoptant une attitude plus ouverte avec notre entourage.
Vous insistez sur le fait que l'on puisse se faire du mal avec le mal qu'on nous a fait, comment cela ?
P.D. Il faut être vigilant quant aux effets produits par une agression, afin de ne pas devenir notre propre bourreau. Par exemple, j’ai été blessé par des paroles. Si mon interlocuteur a un fort impact sur moi, je vais prendre ce qui a été énoncé pour argent comptant. Je vais commencer à culpabiliser et à m’identifier à ses propos en me disant : « j’ai accompli quelque chose de mal donc je suis mauvais ». Je commence à me dévaloriser, je relâche mon existence, je suis moins dans l’enthousiasme, moins présent dans mon travail et avec ma famille.
Mais cette réaction n'est-elle pas normale en cas d'agression ?
P.D. Certes, mais il faut bien comprendre que l'autre est responsable de ce qu’il a dit, mais pas de ce que l'on fait ensuite de ces attaques. Cela peut sembler difficile à entendre en cas d'agressions graves. Mais j'anime cette session sur le pardon depuis vingt-six ans et je peux témoigner que c'est possible. Vous pouvez demeurer en colère et ne pas vouloir lui pardonner, mais vous risquez alors de vous enfoncer encore plus tandis que l'autre se porte bien.
Que faire après cette prise de conscience ?
P.D. Entrer dans un processus essentiel que l'on appelle « la désidentification ». Par exemple, je ressens de la colère contre une personne. Avec le temps, j'ai pu m'identifier à cette exaspération, avec le risque de me définir uniquement ainsi. Si je m’enferme dans cette colère, j'introduis une configuration psychique qui va déteindre sur toute ma personnalité. Or cette désidentification peut m'aider à mettre à distance ces réactions automatiques. Se désidentifier, ce n'est pas nier la rancœur, mais découvrir que je ne me réduis pas à ce sentiment, que je suis une personne bien plus riche que cela.
Ce travail permet-il d'effacer totalement les blessures ?
P.D. Selon les pères du désert, toute blessure laisse place à une vulnérabilité qui demeurera jusqu'à notre mort. Mieux vaut le savoir. Pour ces sages du IV et V è siècle, il est difficile de se transformer soi-même. « Depuis le temps que l’on essaye, on voit bien que l’on change peu », expliquent-ils avec lucidité. Par contre, nous pouvons changer le rapport à ce qui se passe à l’intérieur de nous, grâce à cette démarche de désidentification. Nous ne supprimerons jamais totalement nos fragilités, mais nous pouvons modifier la façon dont elles influencent notre existence. En comprenant que je ne me réduis pas à ma colère ou à ma tristesse, je parviens alors à ne pas limiter l'agresseur à son agression, le menteur à son mensonge.
Pour pardonner, ne faut-il pas que l’autre ait accompli un geste en ce sens ?
Ne confondons pas pardon et réconciliation. Le pardon dépend de soi à 100 % tandis que la réconciliation relève aussi à 50 % de l’autre. Vous pouvez décider de pardonner à votre agresseur sans l’avoir jamais revu. Sans même savoir dans quelle disposition il est à votre égard. Si vous avez parcouru le chemin du pardon, une réconciliation peut s’envisager. Peut-être que votre interlocuteur ne l’acceptera pas, mais vous aurez au moins effectué votre part du travail. En cas de refus, vous pouvez juste prier pour lui, pour que son cœur s’ouvre.
Après avoir pardonné, est-ce à nous de prendre l’initiative en vue d’une réconciliation ?
Pour ma part, je conseille aux personnes qui effectuent ce travail sur leur blessure de ne pas essayer de revoir leur agresseur immédiatement. Inutile de sonner à leur porte, une circonstance va leur être donné par Dieu pour se réconcilier. J’ai de nombreux retours de participants à mes retraites m’expliquant qu’ils ont été invités ainsi à reprendre contact sans l'avoir cherché par eux-mêmes. Par contre, quand ce moment-là se présente, mieux vaut être prêt, l’occasion risque de ne pas se répéter plusieurs fois.
Quelles phrases prononcer alors ?
Par exemple, « j’ai été blessé par telle parole il y a tant d’années. J’ai dû effectuer un travail par rapport à cela, je veux bien me réconcilier avec toi, mais sache que je me réconcilie sur les bases d’une parole qui a été blessante pour moi. » C'est une façon de ne pas nier l’offense, car le pardon se fait sur elle et non sur l'oubli.
Selon vous, le travail de pardon amène à un mouvement de conversion, en quoi consiste-t-il ?
Ne plus s'identifier à de la colère et de la tristesse et pardonner permet de ne plus vivre sous l’emprise de ces élans. Nous pouvons alors acquérir la capacité de dire : « là, j’ai de la colère, qu’est ce que je fais avec elle? » Ce qui amène à un mouvement de « conversion », à un changement d’état d’esprit. Il s’agit de ne pas rester orienté vers le passé, mais de se tourner vers l’avenir. Ne pas juste regarder ce que je n’ai pas su être auparavant, mais ce que je peux devenir par la grâce de Dieu. Ne pas s’accabler de sa propre histoire, mais au contraire la construire à partir des prises de conscience. C’est ce que j’appelle le passage du psychologique au spirituel.
Votre session sur le pardon dure quatre jours, n'est ce pas un peu court pour aborder ce passage ?
Souvent les participants ont déjà travaillé sur un plan psychologique et ils veulent s'ouvrir sur un plan spirituel, c’est-à-dire la question du sens. Au cours de cette session, nous essayons de donner des clés pour passer du psychologique au spirituel, sans prétendre que cette rencontre règle toutes les difficultés en quatre jours. Par ailleurs, une psychologue jungienne est présente durant la formation. Chacun peut la rencontrer pour un entretien psychologique. Pour ma part, je me situe clairement comme prêtre et non-thérapeute.
En quoi votre proposition présente des accents orthodoxes ?
Au moins pour trois aspects. Tout d'abord, la tradition orthodoxe se fonde sur l’expérience et non la croyance. Croire que Jésus est sauveur n'est pas suffisant il faut en faire l’expérience. Si la foi en Jésus m’a amené à un chemin de transformation intérieure, c'est que la grâce a agi. Deuxième message, l’enseignement de la vigilance. Être chrétien ne se réduit pas à la relecture le soir de sa journée, mais la conscience de ces faiblesses à chaque instant. Troisièmement l'attention à la purification du cœur que l'on peut acquérir par la prière du coeur ou l'écriture des icônes.
Interview Étienne Séguier
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