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Étienne Séguier

Le burn out, une maladie du don

14 Février 2016, 19:38pm

Publié par Etienne Séguier

Le burn out, une maladie du don

Le père Pascal Ide, médecin, publie un livre fort intéressant sur le burn out, cette situation d'épuisement général qui s’installe à bas bruit et finit par priver les personnes de toute vitalité. “Le burn out, une maladie du don” (Editions Emmanuel Quasar). Selon lui, elle surviendrait souvent chez les personnes particulièrement généreuses. Il invite ainsi chacun non pas à moins donner mais à mieux donner, en prenant le temps de recevoir puis de s'approprier ces dons.

Il est de plus en plus question de burn out dans les médias. Et parfois peut être que l'on a tendance à évoquer cette situation là où il y a seulement une grosse fatigue. Mais à travers mon activité de coach, je retrouve chez certaines personnes que j'accompagne cette difficulté à prendre le temps tout d'abord de nommer ce que l'on reçoit mais aussi de s'approprier. Je publie ici l'interview que Pascal Ide m'a donné pour l'hebdomadaire La vie. Elle me semble pouvoir aider nombre d'entre nous, à moins passer en force, et à rééquilibrer ce mouvement de "donner et recevoir" si vital.

Comment définir “Le burn-out ” ?

PASCAL IDE. Si l’on traduit ce terme, cela revient à “se consumer”, comme si le corps avait presque totalement épuisé ses réserves et débranchait. Le burn-out se traduit par trois signes : la fatigue extrême, le désinvestissement (ou cynisme) et la réduction du sens de l’accomplissement personnel. Il se distingue d’une grosse fatigue : quelques semaines de repos et la personne retrouve son entrain d’avant, alors que le burn-out nécessite un temps de récupération beaucoup plus long.

Est-ce que l'on peut tomber malade de trop donner ?

P I. Le burn-out touche principalement les professions d’aide, les enseignants-éducateurs, les soignants, les travailleurs sociaux, mais aussi les prêtres, les pasteurs, les laïcs engagés. Aux États-Unis, un site spécialisé dans ce domaine indique que 1500 pasteurs partent chaque mois en maison de repos avec des signes d’abattement ! Ces professionnels d’aide se caractérisent tous par une grande générosité et un haut idéal si bien que l’on parle désormais “d’épuisement par compassion”.

Qu'est-ce qui les épuise ?

P I. D’abord, d’avoir donné sans avoir assez reçu. Un agriculteur m’expliquait que, si l’on ne lui ajoute pas de terreau, non seulement la terre s’épuise, mais elle mettra huit à dix ans pour porter du fruit à nouveau. Le burn-out ne naît pas seulement d’un épuisement, mais aussi d’une rancœur. Très souvent la personne donne et a l’impression qu’elle n’est pas reconnue. Elle se met en vouloir à ses collègues, à l’institution. La mère au foyer devient amère à l’égard de son conjoint, le prêtre à l’égard de son évêque ou de son vicaire général qui ne prend pas régulièrement de ses nouvelles.

Mais ne ne sommes-nous pas invités à donner sans attendre de retour ?

P I. Oui ! Et c’est là même le secret du don. Quand nous rendons un service et attendons secrètement un retour, notre joie se mêle progressivement d’une tristesse, le miel se transforme en fiel. Nous nous trouvons donc face à un paradoxe : d’un côté, nous avons besoin de recevoir ; de l’autre, nous sommes appelés à donner sans exiger de retour.

Comment gérer de manière juste ce besoin de donner et de recevoir ?

Par ce que j’appelle “la conversion du don”. C’est-à-dire le passage du don-initiative au don-réponse. Tant que nous croyons que nous sommes la source du don, ce que j’appelle le “don-initiative”, nous courrons le risque de nous épuiser et de devenir amers. Quand nous comprenons que notre don est une réponse, nous donnons par surabondance et par gratitude. “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement” (Mt 10,8), dit Jésus à ses disciples qu’il envoie en mission.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

P I. Vous pouvez tout de suite en faire l’expérience. Rappelez-vous un cadeau qui vous a été fait depuis le début de la journée : un sourire, une parole gentille. Si vous l’accueillez comme un don et non comme un dû, d’abord votre cœur se réjouit. Si vous écoutez encore plus attentivement votre c?ur, vous percevez que sourd en vous le désir de donner en retour. D’abord, un simple “merci”, mais, plus encore, de donner un autre sourire, de rendre service. Jésus dit à la Samaritaine : “L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissante pour la vie éternelle” (Jn 4,14).

Faut-il donc ne rien attendre de l’autre ? N’est-ce pas irréaliste, surtout dans une relation d’amitié, dans un couple ?

P I. Il est normal d’attendre un retour. Le don est pour la communion, donc pour un échange. Il pourrait d’ailleurs y avoir une tentation d’indépendance à donner sans entrer dans cette réciprocité. Toutefois, attendre n’est pas exiger. Je peux être triste que l’autre ne reconnaisse pas le signe d’amour que je lui adresse, mais je ne serai pas amer. De même, il ne s’agit pas de refuser le compliment, mais de ne pas le quémander comme un dû.Dans sa providence, Dieu donne tout ce dont nous avons besoin comme reconnaissance. Si je sens parfois que mon réservoir est vide, je demande au Bon Dieu : “Donne-moi un signe”. Et je suis toujours frappé de ce qu’il entend ma prière et, délicatement, me répond, mais par un biais que je n’avais pas imaginé.

Parfois, on nous témoigne de la reconnaissance, mais cela ne suffit pas à nous rendre heureux, pourquoi ?

P I. Car il ne s’agit pas simplement de donner et recevoir, mais aussi de s’approprier ce qui est donné. Je peux recevoir des paroles valorisantes, mais si je n’en fais pas mémoire et ne m’en réjouis pas, elles ne me sont d’aucun bénéfice, je ne suis qu’un tonneau des Danaïdes. Dans la parabole du semeur, Jésus ne demande pas seulement d’écouter la parole et de la mettre en pratique, mais de la garder. Saint Ignace de Loyola notait les dons que Dieu lui accordait pour louer le Donateur. Là encore, le carême offre l’occasion de laisser plus de place à l’appropriation ce que l’on reçoit pour mieux donner ensuite.

Comment s’approprier ces dons ?

P I. En pratiquant la gratitude. Le soir, je peux nommer ce que Dieu m’a donné et m’en réjouir. Ce peut être une belle rencontre, une compréhension d’une situation, un geste amical ou des propos tenus à mon égard. Il s’agit d’accueillir la joie ressentie face à cette abondance. Mais cela suppose que je m’arrête et suspende l’action un moment. Les chercheurs ont montré que la louange et l’exercice de la gratitude sont les attitudes les plus bénéfiques pour le corps et pour le psychisme, plus encore que l’amour et le pardon. Le Carême nous invite à retrouver cette pratique, pour nous et pour la qualité de relation que nous entretenons avec les autres.

Interview Etienne Séguier

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